La représentation des Perses dans l’historiographie grecque,
la nature éparse de leur propre documentation historique et leur défaite rapide
par Alexandre occultent le fait que ce peuple a régné pendant deux cents ans
sur le plus grand empire connu avant celui du Macédonien. Pour ce faire, ils ont vaincu de nombreux
peuples et ont développé un système satrapal efficace, appuyé par une
philosophie politique originale.
Vers l’an -1000, une poussée migratoire emmène les Mèdes et
les Perses, installés alors dans la Caucase, en Iran. Ces peuples se connaissent sous le vocable de
« Aryens », où arya dérive
de « noblesse, excellence ». Ainsi se nomme « pays des Aryens »
la vaste région que les Grecs, plus tard, connaîtront sous les noms de
l’Hyrcanie, la Parthie, la Drangiane et l’Arachosie.
Environ trois siècles plus tard, les Mèdes constituent un
puissant royaume au cœur des Monts Zagros, avec leur capital à Ecbatane. Après divers errements, les Perses, encore
semi-nomades, sont installés l’Anshan, sur les frontières septentrionales du
royaume Elamite. Ils sont soumis à leurs
cousins Mèdes, qui les regardent comme leurs inférieurs.
En -653, un grand nombre de Scythes envahissent la Médie et
mettre le royaume en coup réglé pendant trois décennies. En même temps (-646) le royaume Elamite est
abattu par l’Assyrie. Un chef Perse,
Teispes, profite du chaos pour se faire nommer « roi d’Anshan ». Issu du clan qui a pour fondateur l’héros
Achéménés, Teispes se dit également « Achéménide ». Lui succèdent Kurash Ier (Cyrus) et Cambyse
Ier.
En -625, le roi Mède Cyaxares parvient à secouer le joug
Scythe. Allié à Babylone, Cyaxare
parvient, en -612, à remporter une victoire que des historiens modernes ont
qualifié « d’anomalie historique » : Ninive est rasé et le
puissant empire Assyrien disparaît de la scène pour toujours. La Médie est maintenant un énorme territoire
qui s’étend de l’Anatolie orientale à l’Iran, mais avec une forme politique
assez lâche.
Les Perses – peuple maintenant fortement imprégné de la culture Elamite
millénaire - est, comme beaucoup
d’autres, soumis à cette puissante entité Mède.
En -559 devient leur roi Kurash II (Cyrus II, le Grand), dont la mère Mandane est une
princesse mède. Il a de grandes
ambitions, qu’il annonce par la construction d’une capitale splendide, à
Pasargadae (le « camp des Perses »).
En -555, il défie son grand-père Astyages, fils de Cyaxares, et le
vainc, très difficilement. La victoire a
lieu aux portes de Pasargadae que l’ennemi est parvenu à assiéger.
Cyrus II a peu de difficultés à rallier à lui les tribus
mèdes et leurs chefs ; est donc né en -555 la civilisation perso-mède qui
conquerra bientôt le monde. Dans cette
civilisation les Perses auront toujours le rôle principal, mais leurs cousins
Mèdes auront toujours, parmi les vaincus, une place à part.
Les victoires s’égrènent : la Lydie de Crésus en -546
et l’Ionie dans la foulée ; une expédition dans le Sogdiane et le
Bactriane qui emmène Cyrus jusqu’à l’Indus ; Babylone en -539 et avec elle
tout le Moyen Orient. Cyrus charge son
fils Cambyse de soumettre l’Egypte et part à l’Orient, où il meurt en combat
(-530) contre les Massagètes.
Cambyse soumet l’Egypte en -525. La révolte gronde parmi les grandes familles
et c’est pendant son voyage vers la Perse pour la mâter que Cambyses meurt
accidentellement en -522. Sans enfant
mâle, c’est à son frère cadet que revient le trône.
Finalement c’est un autre membre de la noblesse perse qui
s’empare du trône. Fils d’un proche du
pouvoir, Achéménide sans être de la lignée royale, Darius Ier bénéficiait à
l’évidence de soutiens nombreux. Son
premier acte est d’écraser les nombreux foyers de révolte, en Elam, en
Babylonie, en Médie, en Arménie, à Sardes, en Egypte et en Perse même. Darius Ier en vient à bout en l’espace d’un
an, sauf en Elam qui nécessite quatre campagnes.
A partir de -518, Darius peut tourner son attention vers les
frontières. Il refoule les Saces et
soumet la vallée de l’Indus. En -513 il
fait entrer le Cyrénaïque dans le giron perse, mais ne peut vaincre les
insaisissables libyens. Il échoue également
contre les Scythes danubiens. Ces revers
ne l’empêchent pas de s’emparer de la Thrace en -510 et exiger du roi Amyntas
de Macédoine « la terre et l’eau » en signe de soumission.
En -499 éclate la révolte ionienne, marquée par l’aide
Athénien et l’incendie de Sardes. Elle
s’achève cinq ans plus tard à Ladès, lors d’une gigantesque bataille
navale. En -492, les armées Perses
réaffirment leur contrôle sur la Thrace et la Macédoine.
En -491 « la terre et l’eau » sont demandées, dans
un épisode célèbre, aux cités de la Grèce continentale. Si le désir de revanche pour la destruction
de Sardes a été souvent évoqué comme motif, la présence à la cour de Darius
d’exilés athéniens – notamment le tyran renversé, Hippias – en est un autre.
Darius envoie une force expéditionnaire – d’envergure assez
modeste – qui débarque en -490 dans la baie de Marathon. Darius n’aura pas le temps de venger la
défaite subie, car l’Egypte révolté le préoccupe jusqu’à sa mort en -487.
Lui succède Xerxès ; sa règne est longue comme celle de
ses prédécesseurs (-486 à -465) mais méconnu ; ce roi est surtout remémoré
pour l’invasion de la Grèce et les batailles de Thermopyles et Salamine (-480),
Platées et Mycale (-479). Son insuccès
contre les Grecs et la vigueur de la contre-attaque de la Ligue de Délos valent
à Xerxès une mauvais réputation, mais il ne faut pas oublier que la
Méditerranée était pour les Perses un théâtre secondaire. Xerxès sut protéger les vrais intérêts de la
Perse, et garda une main ferme sur la Babylonie et la Thrace.
Les Grands Rois étaient-ils
« zoroastriens » ?
Les « temples du feu » ont marqué l’esprit et il
est souvent affirmé que les Perses étaient des adeptes de Zoroastre. Cependant rien n’est moins sûr.
Rappelons d’abord l’étroite parenté entre les peuples
iraniens et les peuples indiens. Avant Zoroastre, il est clair que la religion
iranienne était d’un polythéisme tout à fait classique, avec à sa tête un triptyque composé de Mazdâ, Mithra et Anahita
et dans laquelle le feu et l’eau jouaient un rôle majeur. Plusieurs divinités de l’Inde védique se
trouvent dans le panthéon iranien. Parmi
les Mèdes (et probablement parmi les Perses) cette religion était l’apanage de
praticiens religieux nommés les « Mages ».
La doctrine de Zoroastre (qui est présenté en plus de détail
sur la page « Les Religions ») a pris pour base cette ancienne
religion mais l’a transformé en profondeur.
Tel était l’écho de son message puissant que les Mages finirent non par
l’adopter, mais par l’adapter à leurs propres croyances, à un degré qui reste
incertain. Peut-être des atharvan (prêtres) zoroastriens
entrèrent dans, ou prirent la direction, des collèges des mages. Autre élément important, le Mage est moins un
prêtre (intermédiaire entre le profane et le sacré) qu’un technicien, expert en
ce qui concerne les rites. Cela pose des
limites à ce qu’ils auraient pu absorber dans la réforme de Zoroastre.
Les auteurs grecs témoignent de l’importance des Mages à la
cour du Grand Roi. Ils jouissaient d’un
très grand prestige et étaient respectés pour leur savoir. Ils étaient, entre autres, chargés de
l’éducation des princes héritiers. Ils
leur ont sans doute transmis ce zoroastrianisme « dilué ».
Nonobstant l’obstacle potentiel que constituait ce filtre, plusieurs
indices indiquent l’adhésion des premiers Grands Rois, au moins partiel, à la
doctrine du prédicateur. Jusqu’à la
règne d’Artaxerxès II (404), c'est-à-dire pendant un siècle et demi, les dieux
autres qu’Ahura Mazdâ sont absents des inscriptions royales, ou relégués dans
une masse anonyme. Sur un plan moins palpable,
la philosophie politique et le moral des premiers Grands Roi, dans la mesure où
nous pouvons les connaître, sont souvent proches de la vision zoroastrienne de
la « bonne pensée, la bonne parole et les bons actions ». Ainsi Cyrus le Grand apporte aux nombreux
peuples soumis une liberté qu’ils n’attendaient pas, comme en témoigne le
retour des juifs à Jérusalem et les statues divines rendus aux peuples après la
prise de Babylone. De même on remarque le
souci constant de la « vérité » dans les inscriptions de Darius, qui
en fait un grand vertu, y opposant la « mensonge » des rebelles.
La droiture, la tolérance religieuse, le pacifisme (pour
l’époque) des Grands Rois ont une ressemblance aux doctrines avestiques qui ont
peu de chances d’être une pure coïncidence.
Est également à verser au dossier le refus des Grands Rois de la
divinisation – cela en dépit des affirmations de certains auteurs grecs.
Le tombeau de Cyrus le Grand a été cité comme une contre
évidence à son zoroastrianisme, puisque l’inhumation était un péché pour un
zoroastrien. Cela dit, rien n’infirme
l’hypothèse que son cadavre eut été décharné selon les prescriptions rituelles,
avant que les os ne fussent rassemblés.
Plus difficile à écarter, le choix de Cyrus de bâtir, outre un temple à
Ahura Mazdâ, un autre temple à Anahita à Pasargadae.
Pour ses successeurs, les traces d’autres cultes dans les
tablettes cunéiformes de Persépolis, ainsi que des sacrifices hippiques –
pratiques liées au culte de Mithra, et décelés autour du tombeau même de Cyrus
– montrent que le polythéisme persistait au cœur de l’Empire. En même temps, le Grand Roi doit faire preuve
de tolérance religieuse et même un zoroastrien acharné n’aurait jamais pensé à,
par exemple, remplacer le panthéon de Babylone par le sien propre.
Plus troublant est le fait que les premiers souverains
achéménides ne font aucune allusion à Zoroastre, pourtant vénéré dans l’Avesta,
ni aucune allusion à la mythologie avestique.
Riche en ce qui concerne la vie post-mortem, cette mythologie aurait du
trouver résonance dans les inscriptions successorales. De son côté l’Avesta – dont une bonne partie
fut composée longtemps après la chute des Perses – passe sous silence les
Achéménides, comme le fait bien plus tard le Shah Nameh, qui en est l’écho. Enfin, il est difficile d’expliquer pourquoi
Artaxerxès II, qui n’était certainement pas
zoroastrien aurait fait une volte face par rapport à ses illustres prédécesseurs,
d’autant plus qu’il avait du écraser la rébellion de Cyrus le Jeune et aurait
eu besoin d’ancrer profondément sa légitimité dans les pratiques ancestrales.
Pour terminer sur ce point, la juste vue semble être que les
Achéménides aient été exposés à ce zoroastrianisme si bien ancré dans les
marches orientales de leur royaume. Ce
reforme leur était porté d’abord par des atharvans
itinérants puis, après l’absorption de la Médie, dans sa version
« dilué » adopté par les Mages.
Sans vouloir ou sans pouvoir gommer les pratiques ancestrales et
polythéistes des peuples aryens, et ce d’autant que le zoroastrianisme demande
une grande rigueur morale difficile d’accès au commun des mortels, les Grands
Roi y ont puisé une partie important des valeurs du pouvoir et de la direction
de leur action politique. Ils n’ont
pourtant pas hésité à abandonner le zoroastrianisme en tant que tel lorsqu’il
leur paraissait important d’assurer la cohésion de l’Empire par d’autres
cultes.
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